Vases-communicants : Brigetoun

Elle est paumée. Elle écrit Paumée. Elle va peut-être vous paumer. Vous enchanter, ça c’est sûr. Et gratifier mon blog d’une participation que je ne suis pas prêt d’oublier. Dégustez, c’est Brigetoun, c’est pour vous.


Roman photo express et idiot


Derrière la fenêtre, la plate lumière blanche se fanait lentement ; Benoite s’est redressée,  dans le rayon de lumière dorée découpé par la porte donnant sur la boutique. Elle a rangé les derniers flacons étiquetés sur les étagères, rangé son attirail, jeté un coup d’oeil sur la pièce, le cuivre qui luisait à peine dans un coin d’ombre, le bois satiné de sa table ; elle a salué sa patronne, est partie.

Quand elle a pris la ruelle, la porte de Fabbio était entrouverte, comme toujours, ou presque, et, comme toujours, ou presque, un peu plus loin, les grands volets de l’atelier.

Et, par hasard, bien sûr, comme d’habitude, ou presque, Fabbio était là, qui fumait et la regardait venir.

Elle l’a salué. Il lui a dit «bonsoir». Elle a souri.

Elle a parlé, un peu, de rien, de la journée, parce que c’est ce qu’il semblait attendre, qu’elle parle, de n’importe quoi peut-être, et il regardait son épaule, ou ses pieds, ou le mur derrière elle, et puis de temps en temps, très vite, ses yeux. Il la relançait avec des mots grognements, et elle continuait, essayait de rendre amusante la banalité de cette journée dont elle se débarrassait, là, grâce à lui.

Elle est repartie, avec un petit sourire. Mais ce soir là, plus vite encore que les autres jours, elle l’a oublié, et la ville, ce qu’elle voyait, était morne, plus laid encore que d’habitude., qu’elle ne le pouvait..

Elle avançait, l’esprit mort, dans un monde refusé, et chacun de ses pas lui semblait lourd.

Sa maison sentait la cire, les fruits, l’a accueillie, serrée doucement, mais elle restait plantée sous le lustre idiot de l’entrée,

sans la voir, vraiment, tête enfuie.

Fabbio pensait à elle, triste de l’avoir devinée triste, pensait si fort à elle, désirait tant être auprès d’elle,  qu’il a vu passer son rêve.

Et comme il l’aimait, il a voulu la suivre. Mais se savait trop brutal, indigne d’un voyage irréel. Alors, il est monté jusqu’à l’embouchure du collecteur,

il s’y est enfoncé, il l’a dévalé jusqu’au fleuve qui l’a pris, l’a bousculé, emporté, l’a jeté dans la mer.

Il était dans la gloire du soleil de midi (pourquoi pas ?) et il s’est mis à nager vers les plages,

comme il le pouvait, malgré sa fatigue, sa maladresse.

Mais il était trop lourd pour cette étrangeté. Il a senti qu’il coulait. Il a regardé le ciel, et sa tête s’est enfoncée dans l’eau.

Benoite, les yeux fermés, merveilleusement écrasée de soleil, ne l’a pas su. Elle n’est jamais revenue. Elle était arrivée.


Vases-communicants d’aujourd’hui :

(Merci à Brigitte Célérier (encore !) ainsi qu’à Christine Jeanney pour cette liste)

Mariane Jaeglé et Gilles Bertin

Eric Dubois et Patricia Laranco

Lignes électriques et Chroniques d’une avatar

Christophe Sanchez et Yzabel

Luc Lamy et Anna de Sandre

Futiles et graves et Kill that Marquise

Christine Jeanney et Arnaud Maïsetti

Michel Brosseau et Juliette Mezenc

Frédérique Martin et Denis Sigur

Pierre Ménard et Anne Savelli

Juliette Zara et Kouki Rossi

Nathanaël Gobenceaux et Jean Prod’hom

Florence Noël et Lambert Savigneux

Philippe Annocque et Cécile Portier

Pendant le week-end et Quelque(s) chose(s)

Le Tiers livre et Commettre

et puis Anita Navarrete Berbel le jardin sauvage  reçoit Anna Angeles sur son autre blog effacements

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18 Commentaires

  1. merci de l’accueil offert à cette mirlitonade

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  2. Comme souvent ‘mauvais timing’ … Elle s’est débarrassée de sa journée et de lui sans le savoir …

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  3. cjeanney

     /  5 mars 2010

    ah non, une mirlitonade ça fait pouët et ici aucun pouët. J’aime l’idiotie du lustre, la tête enfuie. Et l’embouchure du collector : dramatique décor, et les yeux du Fabbio qui va s’enfoncer, étonnante sculpture quand même. ça part dans tous les sens, j’adore ce roman-photo

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  4. quand chaque mot ouvre une nouvelle fenêtre sur la multitude d’un être

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  5. C’est idiot mais j’aime bien…
    (Je voudrais savoir, pour ne pas mourir idiot :
    à la fin le presse-purée est (réellement) tombé amoureux du tuyau d’eau ?
    non ?)

    Réponse
  6. succès du conte – suis ravie

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  7. Benoite ne l’a pas su, et c’est l’essentiel puisqu’elle était arrivée !
    Bravo pour le roman et les photos !

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  8. Inattendu et plaisant! 🙂
    Merci Brigitte!

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  9. Brigetoun

    L’image en contrepoint du mot. J’aime beaucoup être désarçonné lorsque mes vieilles habitudes prennent le dessus. Ici point de tradition. Le mode de lecture est bousculé. Nous sommes dans un monde inhabituel. Un style. Une signature. Que j’adore, à vrai dire. D’un café Internet, devant un bon café, je regarde ces images, je lis ces mots. Et je réalise que mon ami RV a encore montré un coup de génie dans son invitation à partager les vases communicants. Je ne peux rien dire de plus intelligent que ce qui a déjà été dit. Que voulez-vous. Je reste modeste devant le génie des autres 😉 Avec une petite point d’envie 🙂

    Pierre R. Chantelois

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  10. Tout beau et pas si idiot, loin s’en faut.

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  11. j’aime bien moi, plein de poésie, d’images surprenantes, au rytme d’une presque comptine. Un très bon texte ! (c’est moi qui ai pochadé ce vendredi…)

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  12. F

     /  5 mars 2010

    feuilleton du proche – relire « l’infra-ordinaire » de Perec…

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  13. que vous êtes gentils !

    Réponse
  14. rvjeanney

     /  5 mars 2010

    Ouais hein, y sont trop gentils, c’est louche, ça cache quelque chose (lol)
    (y’a jamais eu autant de monde sur mon blog au fait…)
    (c’est marrant de commenter chez soi pas sur soi : comme ça je peux dire « quelle merveille ! » et ça fait même pas prétentieux !)
    Ah je voudrais aussi dire à F lien permanent que le Perec, si on l’a pas lu du tout, on a le droit de le lire plutôt que de le relire ?..
    ^^

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  15. Denise

     /  5 mars 2010

    Ah oui! Je suis enchantée.
    Le texte et les photos me comblent. Ce n’est pas courant mais quelle ambiance.
    C’est magnifique!
    La poésie est présente dans le texte et dans les photos. Comme cela change des textes habituels…

    Bravo Brigetoun et merci à RV pour cette nouvelle invitation des « vases-communicants ».
    Quel plaisir.

    Bonne soirée et bon week-end à tous.

    Denise

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  16. C’est superbe, j’en suis toute émue

    bravissima 🙂

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  17. J’aime beaucoup cette malice joyeuse et grinçante qui « débarrasse » la banalité du quotidien…

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  18. Jeanne

     /  6 mars 2010

    c’est idiot.. je me suis laissée surprendre à croire à une tristesse, un feuilleton noir..
    c’est idiot.. je souris 😉

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